Il faut me fendre

Dans l’urgence de collaborer, d’unir leur voix, Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin nous lèguent leur plus beau poème à quatre mains où ils parlent « en même temps ». La fatalité pouvant à tout moment s’abattre sur eux, c’est un recueil Phoenix qui remonte vers nous à la lecture. Touchant, grinçant, à la fois terrible et tendre, ce sont deux amis qui se construisent une maison de rêve, un air de jazz, des racines à même le corps noué et des envies de ne jamais arrêter, et ce, même s’il faut fendre. À cette œuvre, nous répondons nous aussi que nous aurions « voulu que ça se termine autrement ». La suite est puissante parce qu’il est possible de ne jamais cesser de vouloir fendre :  « me poser en nous encore un peu/ tu sauras que le présent ça ne finit pas vraiment/ ça se plie sur lui-même pendant une éternité ». 

Extrait 

je suis une décoration  

je disparais  

en commençant par la tête  

j’ai cassé ma tête  

je suis le chevalier à la tête cassée  

un bibelot qui ne raconte rien sur une tablette dans le salon  

je suis une décoration  

j’arrive de moins en moins  

je suis un instant  

un instant pour rien  

je suis du temps  

dans les poubelles  

les quêteux demandent du feu encore et encore  

pour ne pas disparaître 

mais il est déjà trop tard  

un terre-plein entre mes deux mains 

pour éviter les accidents 

et plus les autres ont la bouche pleine  

plus il faut penser par soi-même  

cours 

un four à broil  

dans ma tête  

et ma tête dans des mitaines à four  

Laurence Brunelle-Côté est une poète et performeure de Québec. Elle cherche à réinventer (un peu) le langage des arts vivants.  Heureusement, son handicap l’a amené à développer de nouveaux vocabulaires et lui permet d’emprunter d’autres chemins. Elle est co-directrice artistique du Bureau de l’APA. Elle a fait paraître pas encore mort (2017) avec Chloé Surprenant, L’effondrement compte-rendu (2019 format accordéon, 2021 nouvelle édition livre) avec Stéphanie Béliveau. 

Simon Drouin était concepteur, performeur et musicien. Il a co-fondé et co-dirigé le BUREAU DE L’APA et il était un des membres de L’ORCHESTRE D’HOMMES-ORCHESTRES pour lequel il occupait de façon transversale les différents rôles de créateur, musicien, performeur, technicien et gestionnaire dans diverses performances et interventions urbaines. Il est décédé en janvier 2021.

Le bureau de l’APA est un atelier de bricolage indiscipliné permettant la rencontre de créateurs de tous horizons autour de projets artistiques atypiques. 

 Montréal, 2021, 44 p. ISBN 978-2-923617-30-5